exposition UBIQUITéS

extrait traduit par Despina Benetou

Et c'est une "ubiquité", dans le sens de l'éternelle création, que constitue et exprime chaque composition du peintre et graveur Baudouin Colignon.

Essentiellement "poétiques", ses œuvres s'identifient au sens double du terme, en ce qui concerne l'amorce d'une création. En fait, ses images, métaphysiques dans le sens de la nature au-delà du visible, constituent une œuvre double, en tant que création autonome, autant du point de vue de l'inspiration que de sa réalisation. Mais surtout, ses œuvres répondent parfaitement à la définition platonique - toujours en vigueur - de l'art authentique, à savoir qu'il doit correspondre à une "Idée" et ne pas consister en une mimésis.

En effet, indépendamment des procédures de réalisation de ses œuvres - l'inspiration première, les associations primaires et secondaires, les interventions plastiques et technologiques - le résultat rayonne à chaque fois dans sa disposition d'une "aura" extrêmement poétique.

Par ses vécus personnels et sa sensibilité à la couleur-lumière, Baudouin Colignon nous offre, par son attention permanente, littéralement au plus haut degré, un goût direct des paysages de l'âme ou plus particulièrement de paysages imaginaires de l'âme, dans leur expression plastique. Identifié au parcours psychique de l'artiste, son itinéraire plastique, et surtout dans une synergie la plus créative possible avec celui-ci, appelle en nous de manière extrêmement créative au renouveau de nos propres vécus et expériences.

Dora Iliopoulou-Rogan

Docteur en Histoire de l'Art - Critique d'art

                                                              Officier des Arts et Lettres

Jusqu’alors mes pratiques artistiques s’étaient déroulées dans et hors l’espace de l’atelier, pour des raisons et des objectifs différents. J’ai construit depuis une pratique plus respiratoire qui m’impose aujourd’hui les deux, comme un aller et retour. Cela exige de travailler avec l’intuition, mais aussi avec la logique, la précision et la déduction. La pratique du dessin dans un milieu naturel impose la prévision et l’acceptation de certaines contraintes. De l’immersion dans l’extérieur, je n’ai gardé que le meilleur pour moi, c’est-à-dire le regard. L’appareil photo, déjà présent dans le land-art, est passé de l’argentique au numérique et s’est imposé comme un outil principal, après la craie à tableau bien sûr. Le support minéral, rarement plat et uniforme, a lui aussi enrichi cette expérience.

Les corrections du paysage et images impossibles

Le paysage n’existe pas, nous le construisons. En fait nous voyons ce que nous pensons et notre culture construit un œil qui se permet de lire le monde à notre mesure. Le plus grand écran qui s’offre à moi est au fond de cet œil. Vivre dans l’espace c’est transporter avec soi toute une géométrie, installant un certain nombre de repères, de plans. Je précise ou surligne juste les décisions de mon regard.

Error messages

Le monde change, et vite. L’accélération du temps n’est plus à démontrer et les ordinateurs nous permettent aujourd’hui le même espoir avec leur intelligence artificielle que la photographie, lorsqu’elle a eu à ses débuts l’utopie de voir plus, plus loin et plus fort. Ils augmentent notre perception du monde et nos possibilités d’action.

Mais quand ils dysfonctionnent, ils se mettent à régurgiter dans une incohérence totale tous les signes dont on les a chargés. L’irruption de ces signes incompréhensibles dans l’espace naturel nous impose une étrangeté qui nous questionne.

La page

Métaphore de la création, cette petite page est devenue un compagnon familier.

Pour moi qui dessine sur les rochers, elle constitue comme un dédoublement de mon support créatif et son image s’affirme encore plus fort comme une idée.

De la page déchirée de son carnet à la trace fugace d’une lumière ou esquissée au lever du jour jusqu’à l’observation de sa disparition au coucher du soleil, elle a joué avec tous les états possibles de la matière et de la lumière. Sous le soleil grec, elle se présente comme une surface blanche de révélation, chargée de tous les possibles, loin des angoisses du vide.

Ombre et silhouette

Ombre ou silhouette, est-ce mon envers ou mon double ? Une projection que je vois de dos ou qui me regarde. L’ombre est dans la lumière et dans notre monde atmosphérique, il y a des ombres partout ; des ombres propres et des ombres portées. Dans mes images les ombres propres ne m’appartiennent pas, ce sont celles du paysage, mais en revanche mon ombre portée vient prendre un rôle dans l’espace. Une présence forte qui peut créer la tension de l’image et qui impose aussi l’idée d’un hors champ acteur et observateur. C’est la seule présence humaine de mes images.

Le parcours de l’artiste

Peintre et graveur, Baudouin COLIGNON a exposé en France, en Grèce (Athènes et Héraklion), en Italie et en Belgique. Dès les années 80 il a participé à Paris à la recherche présentée en Europe sur le livre à exemplaire unique et a conduit durant quinze ans une pratique de land-art en Grèce et en France. Sans rien cesser de ses activités d’atelier et appelé à des fonctions de recherche et de direction dans le champ du design au milieu des années 90, sa pratique créative s’est transformée durant cette période et enrichie des technologies numériques de l’image. Ceci a précipité une radicalisation de son art sans rien oublier des grandes questions qui l’obsèdent depuis ses premières expositions.

Depuis l’an 2000, à l’extérieur de l’atelier traditionnel, il a mis en place une méthode d’action qui, de la nature qu’il arpente jusqu’à l’ordinateur en passant par le média photographique, a pour objectif de reconstruire des paysages imaginés, plutôt rectifiés devrions nous dire. Ces spectacles nous livrent au-delà de l’image proposée, un point de vue, un angle de compréhension, une idée.

Des grandes plages de sable aux rochers, son travail ne se concentre aujourd’hui que sur le minéral, essentiellement en Grèce. Les signes qui y sont tracés à la craie d’écolier ne viennent que guider une expérience du regard.

Véritable outil de captation, la photographie numérique lui permet de créer des bibliothèques d’images, matière première nécessaire à la fabrication libre de l’oeuvre visuelle élaborée ensuite à l’ordinateur. Dans cette phase, il n’est pas question de trucage ou de transformation, mais d’une vraie construction à partir d’éléments venant de lieux et de temps différents.

Ainsi, cette exposition qui présente des supports d’apparence photographique, n’est pas uniquement celle d’un photographe qui saisit un fragment du monde, mais aussi celle d’un plasticien qui en reconstruit un… avec une temporalité discontinue et une ubiquité troublante.